“Je fais des cauchemars ... L’Administration Bush fait preuve du même aveuglement que lors du Vietnam. A écouter le Président, tout est prévu, tout est planifié. Une fois nos soldats sur place, la chute de Saddam sera une question de jours... Et personne ne pose la vraie question : “Êtes vous prêt à sacrifier votre fils ou votre fille pour vérifier si Bush se trompe ou non ?”.L’Amérique est anesthésiée par le 11 septembre et par la télé.”
Ray McGovern n’est pas un pacifiste anti-mondialiste. Après un passage par les services secrets de l’US Army en pleine guerre froide, il rejoint la CIA où il termine sa carrière en 1990. Et écouter, sans ne rien faire, les déclarations de Bush et de Powell n’est pas son genre. Aussi avec d’autres glorieux au passé prestigieux, il a réactivé ses réseaux. Et, à sa grande surprise, a constaté que même dans les rangs actuels des services secrets américains, le discours guerrier du Président est loin de faire l’unanimité. “Sur le terrain, les gars sont épuisés de voir leur travail récupéré à des fins politique”. Résultat ? McGovern et ses compagnons ont décidé de se transformer en porte-parole de ses anonymes de la CIA et de faire ce qu’ils ont toujours fait en cas de crise : écrire un mémo au Président.
Et c’est ainsi que sur quatre feuillets, les anciens analystes de la CIA livrent une leçon de politique extérieure à George Bush. En commençant par la performance de Collin Powell devant le Conseil de Sécurité de l’ONU :
“ Nous lui donnons un 20/20 pour son travail d’assemblage des charges contre l’Irak mais seulement un 5 lorsqu’il s’agit de placer ces informations dans leur véritable contexte. Et ce qui nous semble clair maintenant c’est que vous avez besoin d’un briefing sur la véritable situation en Irak (...) Et que nous, anciens officiers de renseignement, en collaboration avec nos collègues encore actifs et extrêmement inquiets de la politicalisation de leur travail, nous sentons responsable de vous aider.”.
Avant d’aborder le problème Hussein, le mémo revient sur l’incompréhension de voir appliquer la résolution 1441 de l’ONU quand d’autres plus anciennes ne sont pas respectées : “Y a-t-il plus d’urgence à punir celui qui viole la Résolution 1441 que celui, par exemple, qui ne respecte pas la résolution 242 votée en 1967 et qui oblige Israël de se retirer des territoires Arabes ? (...) Pourtant c’est cette obstination d’Israël, son oppression du peuple Palestinien et son attaque préemptive sur l’Irak qui sont parmi les causes du terrorisme mais aussi de la volonté de Saddam Hussein de s’armer afin d’éviter de futures attaques”.
Prenant l’exemple des tensions à répétitions de la guerre froide, les ex de la CIA démontrent qu’il existe toujours une place pour le dialogue : “Avec patience, une diplomatie persistante, les pires des situations peuvent changer pour le mieux avec du temps”.
Mais c’est lorsqu’il s’agit d’évoquer la menace terroriste représentée par Saddam que le mémo devient le plus virulent : “ Dans votre discours du 7 octobre 2002 à Cincinnati vous nous avez prévenu “que le risque que Saddam Hussein utilise des armes de destruction massive et les fournisse à des réseaux terroristes est simplement trop grand”. Vos agences de renseignements voient la situation d’une manière différente.(...) La probabilité que l’Irak débute une attaque avec ce genre d’armes ou fournisse des terroristes est basse... A MOINS QUE : Saddam conclue qu’une attaque américaine ne puisse plus être repoussée (...) Acculé Saddam pourrait décider de prendre des mesures extrêmes et aider des terroristes Islamistes à réaliser des attaques à l’arme de destruction massive contre les Etats-Unis. Cela serait sa dernière chance de se venger et d’emporter avec lui un grand nombre de victimes”.
Pire encore, une action injuste contre l’Irak “assurerait un recrutement massif de terroristes pour de nombreuses années (...) Le terrorisme est comme la malaria. Vous n’éliminez pas la maladie en tuant les mouches mais en asséchant les marécages. Avec une invasion de l’Irak le monde peut s’attendre à une multiplication de foyers infectieux.(...) Nous vous recommandons de lire le rapport de l’automne dernier de la CIA qui confirmait que “ le problème des forces poussant à la haine des Etats-Unis et permettant à Al-Quaeda de recruter n’est toujours pas traité et que de fait les causes motivant les terroristes continuent à persister”.
Dans sa dernière partie, le mémorandum dévoile les risques du futur conflit : “ Concernant l’utilisation d’armes chimiques, la totalité des services de renseignements américains pensent depuis 12 ans que la possibilité de leur utilisation augmente grandement dès lors que débutera une offensive américaine pour se débarrasser de Saddam Hussein. Nous ne partageons pas l’optimisme du Departement de la Défense (...) L’invasion ne sera pas une promenade de santé pour les troupes américaines, très mal équipée dès qu’il s’agit d’opérer dans un environnement chimique”.
Et de conclure, avec pessimisme, que la future bataille de Bagdad, “ dans un environnement chimique saturé, causera des dizaines de milliers de morts”.
Désormais, Ray Mc Govern n’est plus le seul à cauchemarder.
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