>> [ Irak, le scénario catastrophe ]
George W. Bush a tout prévu. Offensive éclair, frappes chirurgicales, chute de Saddam et élection démocratique dans moins de deux ans. Mais si le Président des Etats-Unis se trompait ? L’enquête de VSD dans les coulisses du futur conflit le prouve : il existe un autre scénario autour de la prochaine opération américaine en Irak. Un plan catastrophe où il est question de terrorisme, de menace écologique, de guerre chimique et de dizaines de milliers de victimes. Révélations ...

“N’oublions pas que notre but est de les pousser à se rendre, pas à se battre. C’est pour cela que nous nous devons de les marquer psychologiquement avec une action forte qui aura sur les consciences le même effet qu’Hiroshima en son temps”. Harlan Ullman est chercheur à la National Defense University de Washington. Inconnu du grand public, il est l’architecte de la future stratégie militaire américaine en Irak. Concrètement le plan “Shock and Awe” d’Ullman devrait se traduire par le lancement en quarante-huit heures de 800 missiles de croisière sur Bagdad. Soit deux fois la quantité utilisée pendant la totalité des quarante et un jours du conflit de 1991. Palais présidentiel, casernes, bunkers, zones industrielles, réserves d’eau, moyens de communication et de transport font parties des cibles que les Américains comptent atteindre afin de contraindre rapidement les Irakiens à rendre les armes. En fait, et c’est une première, l’appareil de guerre US communique depuis des mois sur la manière dont il compte “libérer” l’Irak. S’il y a derrière ces soucis de transparence une volonté évidente de rassurer l’opinion publique américaine, redoutant par-dessus tout un enlisement du conflit façon crise vietnamienne, elle est aussi symptomatique de l’aveuglement de ses dirigeants face aux risques d’une nouvelle guerre du Golfe. Ainsi il a fallu le 16 février dernier pour que cadors du Pentagone et le cabinet de Bush se rencontrent enfin d’envisager un échec de la stratégie de Rumsfeld largement inspirée par Harlan Ullman.

Le coup de gueule du général Schwarzkopf est à l’origine de la réunion. L’ancien “héros” de l’opération Tempête du désert s’est d’abord étonné de la mise à l’écart des stratèges habituels du Pentagone au profit de civils, issus du milieu universitaire dont l’expérience est seulement théorique. Puis, il a exprimé ses doutes sur la réussite annoncée d’une invasion éclair pour finalement conclure sur de vives réserves autour des lendemains du conflit : “Comment allons nous gérer les Kurdes, les Sunnites et les Shiites ? C’est une question déterminante qui devrait être au centre de notre stratégie. Mais ce n’est pas le cas”. Au-delà de l’intervention du retraité Nornam Schwarzkopf, la machine de guerre américaine a connu, en coulisses, ses premiers faux pas. Deux généraux parmi le Joints Chief of Staff, le haut Etat major directement sous les ordres du président Bush ont exprimé durant une réunion à la Maison-Blanche leur désaccord avec la stratégie américaine. Le général Eric Shinseki, le grand patron de l’US Army et le général James Jones, celui de l’US Marines Corps ont aussi du mal à croire au succès rapide et facile des troupes américaines. En fait, et notre enquête a permis de déterminer qu’ils ne sont pas les seuls, ils redoutent un scénario à la Somalienne. Un retranchement du corps d’élite de la Garde Républicaine de Saddam Hussein à Bagdad entraînant ensuite une bataille sanglante pour chaque mètre dans les rues de la capitale irakienne. “ Nous ne savons pas combien temps cela va durer, comment nous allons être accueillis. Et puis, nous pourrons planifier tant que nous le voulons, seule la vérité du terrain décidera. Sans compter que nous oublions un aspect crucial dans nos projections : en réalité, c’est Saddam qui à la main, pas nous”.

Ce qu’exprime, anonymement, ce gradé américain c’est aussi ce qu’affirment depuis des semaines des anciens de la CIA (voir VSD n°XXX) et les vétérans du premier conflit.

Tous craignent un difficile retour à la réalité pour les têtes pensantes du Pentagone.

Ce scénario catastrophe qui, de militaires en agents en passant par des proches du régime d’Hussein, est loin d’être une vue de l’esprit de certaine Cassandre. Au 31 décembre dernier, le Defense Supply Center, le magasin général de l’armée américaine, avait 34 000 body bags en stock. En janvier, il a passé commande de 9640 sacs de transport de corps supplémentaires. Et dans les jours qui arrivent, ce sont 30 000 autres qui seront fabriqués. Une production soudaine motivée par l’abandon d’une idée choquante du Pentagone. L’Etat major américain avait prévu, en cas d’un nombre trop important de victimes et de leur contamination par l’arme chimique, de les faire brûler sur place. Craignant un mouvement de protestation des familles de militaires, le plan a été oublié et la production de body bags accélérée.

Anthony Hardin est un ancien de la guerre du Golfe. Aujourd’hui, sans renoncer à son patriotisme, il craint la prochaine offensive : “ J’ai peur de la réaction de Saddam lorsqu’il va se sentir pris au piège. Je sais qu’à ses yeux, le pire sera alors justifié”. Cette analyse prévoit trois volets catastrophe. Le premier est écologique. “Depuis 1991, Hussein a fait plastiquer ses champs de pétrole. Et en dernière extrémité, il ordonnera de les détruire. Il faut espérer maintenant que les militaires chargés de l’opération n’ont pas fait un bon boulot”. Le général à la retraite Chuck Horner n’ignore rien du “plan Armaggedon” dont les grandes lignes circulent entre Paris, Londres et Washington. La crainte de l’explosion des réserves pétrolières irakienne et de ses conséquences écologiques sans précédents sont au centre de la volonté américaine d’obtenir le feu vert des autorités turques. Le Pentagone souhaite que les troupes de 4th Army puissent lancer l’offensive depuis la Turquie, rentrer en Irak par sa frontière Nord et prendre immédiatement le contrôle des ressources pétrolières. Tout en espérant que Saddam leur laissera le temps d’arriver.

Le deuxième aspect de cette stratégie du pire est terroriste.Les spécialistes de la lutte anti-terroriste, en France et aux Etats-Unis, sont unanimes: L’action américaine va créer la multiplication de foyers chauds sur le globe. “ Tant que le conflit n’aura pas débuté, il n’y aura pas d’actions terroristes. C’est la justification qu’attendent les Américains. Par contre, dès le début, il faut s’attendre au pire”. Ce responsable français du contre terrorisme est catégorique. Et pour prouver ses dires, il révèle que son analyse est partagée par les autorités de Washington. Pour preuve, le rapatriement, discret mais systématique, des familles de diplomates américains et les consignes, discrètes, passées aux entreprises américaines implantées à l’étranger. Ray Mc Govern, l’ancien “cadre supérieur” de la CIA affirme que l’Agence craint que Saddam ait distribué des moyens de lutte chimique et biologique à certaines organisations terroristes. Avec consigne de les utiliser en cas d’intervention militaire contre lui : “ Tout notre travail le prouve, Hussein est prêt à tout si nous le poussons à agir”.

Une menace qui amène directement au troisième volet de ce scénario catastrophe : l’utilisation par l’Irak d’armes chimiques et biologiques. Si l’éventualité nous a été confirmée du côté américain, elle nous l’a été également du côté irakien : “Après la guerre du Golfe, Saddam a dissimulé l’essentiel de son stock dans un pays ami mais il a gardé de quoi frapper l’ennemi. Il ne s’agit pas de missiles à longue portée permettant, par exemple, de frapper Israël mais de produits pouvant agir dans un périmètre de 40 kilomètres autour de Bagdad. Et Saddam les utilisera puisqu’il se sait condamné”.

Reste à savoir donc comment l’armée américaine fera face à ce genre d’attaque. Du côté du Pentagone, où l’hypothèse est prise très au sérieux, on s’efforce de faire passer “discrètement” le message au leader irakien : “Notre réponse sera massive. Si Saddam utilise les gaz, il doit s’attendre au pire”. Mais au-delà de cette théorie de l’escalade où certains évoquent déjà une réponse à l’arme nucléaire, reste une question essentielle : la première armée du monde peut-elle traverser un conflit chimique en limitant les dégâts ? Et si la question est inquiétante, la réponse elle est carrément effrayante.

En novembre dernier, le Pentagone organise une opération de relations publiques afin de démontrer sa faculté à agir en milieu contaminé. Six membres de l’Army Tactical Escort, équipés uniquement avec du matériel de pointe devaient démontrer leurs dextérités.Mais, problème, après quelques minutes, écrasé par la chaleur sous sa combinaison de protection, un des militaires s’est effondré, inconscient. Si l’Irak devait utiliser l’agent chimique, les troupes américaines devraient évoluer pendant plusieurs jours sous la protection d’une combinaison de protection dans des températures supérieures à celle du fiasco du Pentagone.

Deux mois plus tôt, un incident bien plus révélateur d’une probable faiblesse américaine s’est déroulé dans le désert du Nevada. Le “Millenium Challenge 2002” est la plus grande opération de manoeuvre de l’histoire militaire américaine. Pendant trois semaines, 13 500 soldats, divisés en deux équipes, se sont affrontés afin de se préparer au futur conflit irakien. Sur le papier le camp “américain” avait une victoire annoncée, son matériel, sa technicité et son nombre étant supérieur aux troupes “ennemi”. Mais voilà, mené par le général Van Riper, le groupe “ennemi” a oublié les conventions de la guerre pour opter pour une tactique de guérilla proche à celle que l’on prête à Hussein. Lançant une attaque surprise, Van Riper a presque - virtuellement - terrassé le géant américain. Mais mieux encore, assailli par une massive contre-attaque, Van Riper se sachant condamné, a décidé d’utiliser l’arme chimique. Et face à cet imprévu, le Pentagone a décidé ... de mettre fin à l’exercice de manoeuvre. Furieux et inquiet, Van Riper est persuadé que les troupes américaines ne sont pas prêtes à faire face au pire.

Et, comme les documents que nous avons retrouvés le prouvent, l’inquiétude du gradé est bien fondée. Notre enquête aux Etats-Unis nous a permis d’avoir accès à quatre rapports sur le véritable état des lieux de l’armée américain face à la menace chimique. Et la vérité est accablante. Le premier date de 1996 mais selon un addedum de novembre 2002 garde aujourd’hui toute son authenticité. Le NSIAD 96-103 détaille, sur trente pages, les faiblesses de l’appareil de défense chimique US. Il y est question de matériels défaillants, de procédures inadéquates, d’absences d’entraînement et de vaccins dangereux. Le second en date du 1 octobre 2002, confirme non seulement les conclusions de 1996 mais les amplifie : “ Persistance d’un entraînement déficient... défaut de matériels adéquats dans des unités essentielles... équipement de protection en nombre insuffisant... Protection de mauvaise qualité... absence de dirigeants compétents aux postes clés de notre programme de défense biologique et chimique.”. Le troisième rapport dévastateur que nous avons pu nous fournir date de 7 novembre 2001. Sur 5 pages, il fait l’état des lieux de la préparation médicale en réponse à une attaque chimique ou biologique. Et là encore, les conclusions sont effrayantes : “ formation spécifique non obligatoire ... manque d’entraînement en milieu contaminé .. un cinquième seulement des médecins en uniforme a suivi une formation adéquate...Une réponse adéquate à des scénarios chimique et biologique ne peut pas être assurée”.

Le dernier document enfin est un mémorandum d’un sous-comité d’enquête du Congrès daté du 19 juin 2002. On y apprend que le programme JSLIST, l’équipement de pointe de défense aux armes biologiques et chimiques, est insuffisant et incomplet. Que le milliard de dollars qu’il a coûté pour l’année 2001 seulement n’a pas pas permis de garantir que chaque soldat en partance pour l’Irak sera proprement équipé. Que le système de distribution “ ne permettra de faire face à l’urgence”. Et qu’uniquement “ 6 kits de protection sur 5000 sont testés avant d’être fournis aux soldats alors que pour être certain à 90 % de leur efficacité il faudrait effectuer les tests sur 220”.

A la veille d’une intervention américaine en Irak, et alors que George W. Bush assure que l’issu du conflit est déjà joué, le pire est loin d’être impossible.

William Reymond

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