“Je vous renvoie à l’excellent dossier présenté par le Royaume-Uni qui décrit en détail les activités de dissimulations irakiennes” Ce jour-là, devant la Commission de Sécurité de l’Onu, Collin Powell est sûr de son fait. La veille, le 3 février, les services du Premier Ministre Tony Blair ont rendu public un rapport de 19 pages à charge contre le régime de Saddam Hussein. Le dossier “Iraq, its infrastructure of concealment, deception and intimidation” est présenté comme la somme d’informations la plus précise sur le jeu de cache-cache auquel se livre l’Irak grâce à des indiscrétions diplomatiques mais aussi - et surtout - le travail de la fine fleur des services de renseignements britanniques.
Mais le Secrétaire d’Etat américain ne pourra pas se féliciter longtemps de “l’excellent” travail anglais. Car Glen Rangwala, un enseignant de Cambridge, est non seulement un lecteur attentif mais possède une mémoire précise. Et la lecture du rapport Blair lui rappelle instantanément un article paru dans la revue Middle East Review of International Affairs(MERIA) en septembre 2002. Sous le titre, “Iraq’s Security and Intelligence Network: A Guide and Analysis”, Ibrahim al-Marashi, un étudiant américain de troisième cycle y résume sa thèse. Un travail universitaire qui se retrouve en grande partie, mot pour mot, dans le rapport des services secrets anglais. Acculé par le scandale, Tony Blair est obligé de reconnaitre le scandale et, le vendredi 7 février, de présenter ses excuses à Ibrahim al-Marashi.
L’affaire est grave. Non seulement parce que, comme le souligne Tam Dalyell, un député travailliste, “Ce document est censé justifier l'entrée en guerre de ce pays et le fait que des jeunes gens et des jeunes filles mettent leur vie en péril, ainsi que celles de milliers, de centaines de milliers de civils innocents” mais aussi car il lève un bout de voile sur l’immense appareil de propagande mis en route afin de justifier la guerre. C’est d’ailleurs cet aspect qu’al-Marashi insiste aujourd’hui : “ la question essentielle est de savoir comment les Britanniques vont pouvoir à nouveau faire confiance à leur gouvernement sur la question irakienne. Le gouvernement Blair va dorénavant se heurter à une vague de scepticisme dès qu’il publiera une nouvelle information.Ils ont pris un risque énorme. Et ils n’auraient pas du le faire. Cela les discrédite complètement au moment où ils ont justement le plus besoin de crédibilité. J’ai du mal à comprendre comment ils ont pu commettre une telle erreur”. Une erreur peut-être motivée par la qualité du travail de al-Marashi ? “ J’ai été surpris, même flatté que le gouvernement britannique se base sur mes recherches pour rédiger ce genre de document. Mais ils auraient pu me consulter pour que je leur fournisse une mise à jour”. En effet, la thèse de l’étudiant, désormais chercheur au Centre d’Études sur la Non-prolifération à Monterrey en Californie, est basée sur des informations vieilles de douze ans : “ J’ai utilisé principalement deux sources. Les premiers documents - près de 4 millions - ont été récupérés au nord de l’Irak par les rebelles Kurdes. Les autres, environ 300 000, ont été laissé derrière eux en 1991 par les services de sécurité irakien au Koweit. Rien à voir donc avec l'actuelle dissimulation d'armes de destruction massive dénoncée par le "dossier" britannique”.
Et si Ibrahim al-Marashi, dont les parents vivant également en Californie sont des réfugiés irakiens, ne souhaite pas capitaliser sur la polémique, a toujours autant de mal à “avaler” la grosseur de la supercherie anglaise : “On a même recopié mes erreurs de grammaire et mes fautes d'orthographe ! Maintenant, il faut reconnaitre que la seule chose que demande un universitaire est que vous mentionniez ses travaux lorsque vous les utilisez. C’est ce qu’à fait, en retard, le gouvernement Blair. Je suis donc satisfait”.
Au-delà du plagiat du travail de al-Marashi - mais également en quantité moindre de deux autres articles d’une revue spécialisée dans le monde du renseignement - l’affaire cache un aspect bien plus pervers.
Comme l’a révélé l’Observer en Angleterre, al-Marashi a été victime “d’un plagiat à géométrie variable”. Si 4 pages sur les 19 du rapport proviennent directement de sa thèse, certaines phrases ont été modifiées. Pas pour masquer la supercherie mais pour aggraver les propos du rapport. Ainsi à chaque fois que cela été possible, les services secrets britanniques ont joué du “copier-coller” afin d’alourdir le trait. “surveillance” devenant “espionnage” ou encore “ groupe d’opposants” se transformant soudain en “ organisations terroristes”.
Manque d’informations ? Panne d’inspiration ? Défaut de preuves ? Que les officines guerrières se rassurent, pour le mois prochain Ibrahim al-Marashi prépare un nouvel article pour MERIA. Son titre ? “ Comment l’Irak cache ses armes de destruction massive”. Au bas mot, de quoi alimenter une bonne dizaine de rapports officiels...
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