Et s’il est évident que de nombreux segments de l’émission ont été enregistrés à l’avance, la tournée des correspondants, de Washington à Paris en passant par Bagdad, dévoile un monde qui à du mal à comprendre l’impact de la défaite de l’ONU. De son côté, CNN délaisse l’analyse pour la boule de cristal. A l’antenne se succède les fameux consultants de la chaîne. Gradés à la retraite, anciens barbouzes, spécialistes géopolitiques, ils imaginent tour à tour le programme des jours suivants. L’ardoise magique, la baguette de bois et la carte aimantée ont été remplacées par le tout électronique. Désormais, le spécialiste maîtrise la tablette graphique. Et dans des croquis rappelant des combinaisons de NBA, CNN raconte une guerre qu’elle attend depuis longtemps. D’ailleurs on sent que les présentateurs du soir ont du mal à cacher leur excitation. Dépassé par FoxNews, CNN espère se refaire la main avec l’Irak. Et alors qu’ABC et NBC annoncent l’évacuation immédiate de leurs bureaux de Bagdad, CNN affirme sa volonté de rester. Son concurrent, expulsé par le régime de Saddam il y a un mois s’en moque. Fox a compris que seule l’Amérique intéressait les Américains. Aussi, la chaîne, spécialiste de la paranoïa ambiante, continue d’attiser les peurs. Sur l’écran s’affiche en permanence le risque terroriste désormais élevé. Le discours de Bush, ne masquant pas le risque d’attaque, a incité les autorités à mettre sur pied le plan Liberty Shield. L’Amérique est en alerte et FoxNews prend son pouls.
Retour sur ABC où Jennings tente de comprendre l’étrange partie de poker qui s’est jouée dans les coulisses du Conseil de Sécurité. Le matin encore, les Etats-Unis, afin de conforter un Tony Blair malmené par son parti, avait tenté d’imposer leur résolution. Mais une nouvelle fois la France avait affirmé sa volonté d’y mettre son véto. Même pas assuré d’obtenir 9 voix sur 15, Powell, furieux, a regagné Washington. Comme le révèle le New York Times, l’ancien général américain est particulièrement en colère contre Dominique de Villepin. Citant les témoignages d’autres ministres étrangers présents, le quotidien revient sur un repas organisé au fameux Hôtel Pierre en septembre dernier. Powell, seul partisan de l’administration Bush d’une implication de l’ONU, accepte de convaincre son “patron” de la nécessité de la résolution 1441. L’idée est défendue par les Français. Mieux, selon les témoins présents, de Villepin propose un plan en deux étapes. D’abord un texte demandant à l’Irak un désarmement rapide, puis une deuxième résolution, autorisant le recours à la force si l’Irak ne se plie pas à la volonté du Conseil de Sécurité. Conscient de la difficulté de faire plier Bush qui souhaite frapper vite, Powell tient à s’assurer du futur comportement de Dominique de Villepin : “ Sois sur d’une chose... Ne vote pas pour la première résolution si tu n’es pas préparé à voter pour la deuxième”. Assuré du soutien français, Powell réussit donc à infléchir la politique de Bush. Et donc, la menace de véto, réitéré ce lundi 17 mars, est vécu par le Secrétaire d’Etat comme “un véritable coup de couteau dans le dos”.
ABC, à son tour, se lance dans la prospective. La guerre n’a pas encore débuté que l’on parle déjà du futur siège de Bagdad. Étrangement silencieux sur le sujet, le Pentagone confirme désormais ce que VSD relevait la semaine dernière : Saddam Hussein serait déterminé à utiliser l’arme chimique et biologique. Face à cette perspective, les militaires assurent que leur stratégie de frappe ne laissera au rais pas le temps d’agir. En fait, ce soir l’attention se focalise sur le Sud de la ville. Les Américains souhaitent prendre Bassorah le plus rapidement possible. Les services secrets saoudiens ont assuré que la population les attendait en libérateurs. De fait, l’Etat major rêve déjà de défilé populaire dans les rues et souhaite des images d’Irakiens en joie embrassant les GI’s comme au moment de la Libération de la France en 1944. L’information est au centre de la stratégie de communication du gouvernement irakien. Si tout se passe bien à Bassorah, l’Armée a prévu de transporter les correspondants par hélicoptère. Comme le dit un membre du service de presse de la Navy, “la première image de la guerre déterminera le ton du conflit”. Ce contrôle de l’image, bien plus avancée qu’en 1991, est au centre des accusations de Kate Adie, une journaliste vétérante de la BBC. En effet, elle révèle que le Pentagone, se faisant écho de la mise en garde de Bush, a informé les journalistes que “ chaque signal satellite découvert sera bombardé. Que cela soit une communication de l’armée irakienne ou un journaliste indépendant envoyant des informations à son média”. Mais ce n’est pas tout, Adie raconte que “ les autorités américaines acceptent uniquement la présence de journalistes qui soutiennent la guerre. Si vous êtes simplement sceptique, vous n’êtes pas acceptable.” Et encore que “ l’Armée a le contrôle de l’équipement technique des médias. Ce sont eux qui contrôlent les liaisons satellites de chaque envoyé spécial”.
Ce contrôle de l’information n’empêche pourtant certains soldats d’exprimer leur crainte. Ainsi, ce jeune marine de l’Alabama “ avoue être cloué par la peur” Son souci ? Rentrer chez lui : “ Si le seul moyen de rentrer chez moi et revoir ma fiancée est de passer par Bagdad, alors allons-y de suite”. Cette baisse de moral des troupes, dont certains attendent au Koweit depuis quatre mois, est à l’origine de la volonté de Bush de ne plus attendre pour donner le signal. Craignant également les fortes températures, les tempêtes de sable fréquentent à cette époque, l’armée américaine n’a plus le luxe de la patience.