La Liberté - 25 septembre 2004 -
   
Le plan marketing de George Bush pour gagner les élections
Essais · C'est le pire président que les Etats-Unis n'ont jamais eu. Pourtant, il devance son adversaire dans les sondages. Comment est-ce possible? Suffit de suivre la méthode...
Laliberte.ch
Magalie Goumaz
samedi 25 septembre 2004
 

Le 3 novembre, les Européens risquent de tirer une drôle de tête en se réveillant. Bush rempile pour quatre ans. L'horreur. Et on entend déjà les commentaires au tea-room du coin: «Quels cons ces Américains!» Trop simpliste. La machine républicaine qui transforme le citoyen moyen en électeur aveugle fonctionne depuis des années. Suffit de lire plusieurs ouvrages consacrés à la «méthode Bush» pour comprendre ce qui risque bien de se passer dans quelques semaines, pourquoi et comment.
Le plus efficace de ces livres est l'oeuvre d'un journaliste d'investigation français, William Reymond. Son Bush Land se dévore comme un polar. Des chapitres courts, de l'action, des retours en arrière, des éclairages sur toutes les facettes du personnage, des archives. William Reymond ressort des histoires oubliées qui, mise bout-à-bout, ne laissent planer aucun doute sur ce qui se trame à la Maison-Blanche. Sueurs froides garanties.

Le style cow-boy
Bush est un concept. Sa campagne a commencé alors que son père essuyait un revers humiliant contre Bill Clinton. Un homme a alors tout misé sur le fiston: c'est Karl Rove, un gourou, une bête de l'analyse politique et des sondages, un joueur d'échec qui a toujours plusieurs coups d'avance, un homme de l'ombre qui a façonné un président à l'image d'un pays, fier, riche, pieux et pragmatique. Rove donne aussi un style à Bush. Le futur président sera Texan, ce qu'il n'est pas à l'origine puisqu'il a grandi sur la côte Est. Il lui propose de porter jeans et chemises à carreaux, de parler simplement en insistant sur une idée. Pas plus. Les Américains le voient tronçonneuse à la main, assistant à un match au milieu du public.
Premier essai dans son nouveau fief, le Texas. Le professeur Karl Rove peut enfin appliquer sa théorie pour permettre à Bush Junior de devenir gouverneur: pousser un électeur à ne pas voter pour un adversaire est plus facile que de le convaincre de la justesse des idées de son propre candidat. Il parvient ainsi à chasser la démocrate Ann Richards pourtant confortablement installée à ce poste avec un bilan réjouissant à faire valoir. Avant l'élection, les rumeurs les plus sournoises courent sur son compte avant le coup fatal: Bush parvient à imposer comme thème politique la criminalité, la délinquance juvénile et le niveau préoccupant du système scolaire. Des problèmes dont personne ne s'inquiétait auparavant.
La «Blitzkrieg»
Même méthode quelques années plus tard, en 2000, pour terrasser le sénateur John McCain dans la course à l'investiture républicaine. L'enjeu est bien plus important. Il s'agit de choisir lequel des deux affrontera le démocrate Al Gore aux présidentielles. John McCain est le favori mais tout se joue en Caroline du Sud. Karl Rove sort l'artillerie lourde. Une vraie «Blitzkrieg». «Dans les jours précédant le scrutin, des centaines de milliers d'électeurs républicains furent contactés et mis en garde contre le soi-disant vrai visage de McCain», explique Reymond. Radios et journaux sont submergés de messages expliquant que le sénateur est un client habituel de prostituées de couleur noire, qu'il est le père d'un enfant illégitime né d'une péripatéticienne. Dans cet Etat conservateur, les rumeurs deviennent réalité, McCain est écarté.
Et c'est ainsi que Bush peut marcher vers la Maison-Blanche. Sur le plan national, c'est un quasi-inconnu mais il est le fils du père. Les médias apprécient sa simplicité. Jugé arrogant, Al Gore est par contre détesté par la presse. Survient le cafouillage en Floride, le recomptage stoppé par une Cour suprême dominée par les républicains. Bush n'est pas élu, il est jugé «vainqueur» par les magistrats. Des journalistes, des politiciens, des avocats se sont penchés sur cet épisode. Un rapport intéressant est rendu public le 11 septembre. Pendant que Bush lit une histoire aux écoliers. Pendant que l'Amérique est attaquée. Ce jour-là, il devient un chef de guerre. Tous derrière lui. Et c'est un chef de guerre que les Américains veulent réélire dans le combat contre le terrorisme.
Bush contre «flip-flop»
Pour battre Kerry, les républicains ont de leur côté le Congrès, le Sénat et la justice. Et Karl Rove ressort sa vieille technique en présentant l'adversaire comme un candidat «flip-flop» qui ne sait pas se décider. Ce qualificatif, dur à porter en temps de guerre, est parvenu à s'imposer. On met en doute son passé militaire, on se moque de son élitisme, de sa fortune, de ses relations avec l'Europe...
Ce n'est bien sûr pas suffisant pour devenir et rester président. Le duo Bush-Rove a des alliés. Ce sont les milieux économiques assurés de garder leurs entrées à la Maison-Blanche. Ce sont les médias dont le principal, Fox News, est dirigé par un complice. Ce sont les Eglises, caressées dans le sens des valeurs qu'elles prônent.
Stupide? Vraiment?
Dans son livre, William Reymond laisse planer un énorme doute sur les capacités intellectuelles de George W. Bush. Et s'il n'était pas stupide? Et si ses erreurs, lapsus et autres confusions n'étaient qu'un pur calcul politique pour montrer à la masse populaire qu'il leur ressemble, qu'il est accessible, qu'il fait de son mieux, que le chaos en Irak n'est pas de sa faute. Plusieurs témoins affirment qu'en privé, Bush fait preuve d'une rare maîtrise des dossiers. Mais en public, il sait que l'élection présidentielle se résume à une question: «Avec lequel des deux candidats vous avez le plus envie de partager votre barbecue du 4 juillet, jour de la fête de l'Indépendance?»
Et c'est ainsi que le 4 novembre, on entrera peut-être dans une nouvelle ère, le «Bush World».
William Reymond, Bush Land, Ed. Flammarion, 448 pp.

 

 
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