Au départ, il n’y avait rien d’autre qu’une vision : celle de Karl Zero, son costume bien taillée et ses célèbres lunettes sur les terres de George W. Bush. Et l’idée d’utiliser le territoire du président américain pour revenir une fois encore sur ce système que je venais de décrypter dans mon dernier livre.(1) Karl n’a même pas hésité, ce qui est plutôt rare dans le petit monde de la télévision plus habitué aux délais interminables. Enthousiaste, il a immédiatement accepté l’idée de me rejoindre au Texas et de passer quelques jours à Crawford, au cœur du Bush Land.
Et comme je l’avais imaginé, le mélange est détonnant. Crawford et ses 705 habitants est devenue depuis 2000 le lieu de résidence de George W.Bush.(2) Son arrivée ici est vécu comme une bénédiction. Crawford se mourrait, le miracle Bush a transformé cette bourgade du centre Texas en destination touristique pour fan du président. Qui lui même multiplie les séjours - plus de quarante- depuis son arrivée à la Maison Blanche. C’est d’ailleurs d’ici que le 2 novembre prochain, sous l’oeil des caméras du monde entier que George W.Bush votera. A l’image d’ailleurs, il est fort possible que l’on aperçoive Robert Campbell, le maire de Crawford. Campbell, avec qui Karl s’est longuement entretenu, est un paradoxe. Il est Noir, démocrate et fait partie du comité de soutien de John Kerry. Et il n’est pas le seul à souhaiter la défaite de Dubya malgré les retombées économiques que sa présence à la Maison-Blanche engrangent pour la petite ville. Il y a encore Leon Smith, le directeur du Texas Iconoclast, le seul quotidien de Crawford. Après avoir soutenu George Bush en 2000, Smith préfère désormais le candidat démocrate. La guerre en Irak, la situation économique peu brillante, le refus de Bush de poursuivre la recherche sur les souches de cellule mère et le sentiment que l’Amérique est plus divisée que jamais sont passés par là. Comme il l’a expliqué à Karl, Leon Smith paie chèrement sa décision. Non seulement son journal n’est plus distribué par les commerçants de Crawford mais Leon doit désormais faire face à des menaces physiques. Ces deux “trahisons” expliquent en partie le lourd climat planant désormais sur Crawford. Ce n’est pas mon premier séjour dans le cœur du Bush Land mais, par contre, pour la première fois que j’ai franchement le sentiment que Crawford est sous tension. Et subitement l’idée d’immerger Karl Zero, trublion ouvertement anti-Bush, au milieu de ce Clochemerle texan, ne semble plus aussi amusante. Et ce ne sont pas ces “Go Home ! Go Home !” hurlé en guise de “bienvenue” par un des habitants de la ville qui finissent par nous rassurer. Pire encore, les membres américains de l’équipe de tournage nous confient eux aussi leur inquiétude. Il y a de l’électricité dans l’air et ne sont pas les 35 degré du mois d’octobre texan qui vont contribuer à rafraîchir les esprits.
Et pourtant pendant près de trois jours, souvent au nez et à la barbe des Texans, agissant comme un petit groupe commando, nous allons remplir notre “mission” : glisser Karl Zéro au cœur même de la mythologie Bush. Des bottes du Président en passant par son plat préféré - les oignons frits- et le port du Stetson, j’ai vu Karl Zéro se “bushiser”. Mais la transformation était pour la bonne cause. Il s’agissait de démontrer par l’humour comment George W. Bush fabrique son image de président cow-boy proche de l’américain moyen.
Si l’essentiel de ce Vrai Journal spécial a été tourné à Crawford, Karl s’est offert deux escapades texanes. La première à South Fork, dans le ranch de JR, pour une séquence culte qui promet de figurer dans les annales de la télévision. La deuxième à Denton au nord de Dallas pour y rencontrer Mike Sutton. Pacifiste chevelu et patriote américain, il a décidé de transformer sa voiture en outil politique. Chaque jour, au feutre indélébile, il inscrit sur son véhicule le nom des soldats américains tués en Irak.
Mais le clou du séjour texan de Karl Zero reste la dernière séquence tournée à Crawford. Karl, installé à l’arrière d’un monstrueux pick-up, y traverse la rue principale de la capitale du Bush Land afin d’haranguer ses habitants et les inciter à voter... John Kerry et à regarder Le Vrai Journal.(3)
L’appel sera-t-il entendu ? Pour nous, les témoins médusés de cette dernière provocation, il est impossible de se prononcer. Dès le “on coupe” du réalisateur, tout le monde s’est précipité vers son véhicule pour fuir Crawford, ses boutiques de souvenirs et ses commerçants républicains qui depuis se demandent quelle était cette tornade française qui venait de s’abattre sur le centre du Texas.
William Reymond
(1)Bush Land (2000-2004), William Reymond, Flammarion
(2) https://williamreymond.com/bushland_photos.html
(3)Le Vrai Journal au coeur du Bush Land, dimanche 31 octobre, 12h40 sur Canal +